Après le trek Ala Kol et quelques jours de repos à Karakol où nous avons mené une vie d’expat’ avec les nouveaux copains à se faire des bouffes et des soirées cartes/babyfoot/fléchettes au bar, nous voici de nouveau sur les routes kirghizes. Nous nous rendons à Bokonbayevo pour rejoindre Erkin que nous avons rencontré dans la marshrutka au retour de Kol Suu. Son invitation tenant toujours, nous lui avons demandé si nous pouvons venir avec "quelques" amis... Voilà que nous serons 12 personnes à débarquer dans son monde haha. Mais avant de vous raconter ce qui sera la plus belle soirée kirghize, laissez-nous vous parler de la chasse à l’aigle.
Nous avions envie de découvrir cette pratique depuis que nous avions lu quelques articles à ce sujet, le lien entre l'homme et l'animal nous fascine. Le problème c'est qu'elle nous semblait trop touristique pour la cautionner, nous avions vu plusieurs groupes au bord de la route s’adonner à cette activité et ça nous avait laissé un goût amer dans la bouche. Des dizaines de personnes se faisaient passer l’aigle de bras en bras, à la queue leu leu. Mais tout ça, c’était sans compter sur l’aide de nos amis canadiens. Grâce à leur auberge, ils ont pu prendre conseil auprès d’une kirghize en expliquant nos craintes et elle nous a dégoté un petit rendez-vous intimiste avec l’un des 15 chasseurs à l’aigle du Kirghizistan. Wow, wow, wow. On est vraiment super content !
Laissez-nous vous présenter le berkutchi et son aigle Tunduk
Le berkutchi, l'aiglier, vient nous chercher dans un tacot bien vieux et nous nous écartons rapidement de la « ville » de Bokonbayevo (beau comme Bayevo pour s'en souvenir) pour atteindre une plaine entourée de basses collines. La première chose qui m’a frappée chez ce monsieur, ce ne sont pas ses habits traditionnels, ni ses adorables enfants, ou sa prestance, ce sont ses yeux. Un regard bleu perçant et doux à la fois. Une bienveillance émanait de lui si fortement, j'aurais voulu le prendre dans mes bras. Il avait une certaine timidité, qu’il avait appris à gérer au fil des années mais qui se faisait toujours sentir dans son sourire. Il se présenta rapidement, puis il présenta longuement son aigle, son bébé comme il dit. Un animal magnifique, et beaucoup plus serein que ce que j’aurais attendu. Ces deux-là se connaissent par coeur, et s’aiment profondément, ça se voit. La complicité entre eux est magnifique.
La représentation en elle-même ne dure pas très longtemps, le temps que son fils grimpe en haut d’une colline, l’aigle au bras, et le lâche, de le voir disparaître dans le silence total, de scruter les environs à sa recherche sans le trouver, puis d’entendre le déploiement de ses ailes dans un bruit sourd de courant d’air, et de le voir attraper la peau de chacal qui sert aux exercices et à l’entraînement. L’opération est répétée une deuxième fois à la fin de laquelle il arrive directement sur le bras de son « papa ». Quand la démonstration est finie, le berkutchi pose un casque ou cache-œil sur la tête de Tunduk afin qu'elle n'ait pas peur de ce qui l'entoure, afin de réduire son excitation et son instinct de chasse.
Ce qui nous a le plus passionné, c’est le lien entre les deux, leur histoire. Son récit ne fait que confirmer mon pressenti, les Kirghizes vivent avec la nature. Il nous raconte les règles à respecter, les us et coutumes. Déjà, ils ne chassent pas l’été car c’est la période de reproduction et de l'arrivée des petits des proies qui les intéressent. Ensuite, les démonstrations avec les touristes sont raisonnées, pas plus d'une par jour. Elles leur permettent de gagner un peu d’argent pendant cette période estivale où leur vrai métier est en pause. Puis, ils ne gardent leur aigle que 20 ans sur les 60 ans de vie, afin qu’il puisse connaître la vie sauvage et être libre. C'est à ce moment de l'explication qu'il me toucha le plus, quand il nous raconta la séparation avec son premier aigle, le relâcher dans la montagne, le regarder s’envoler et disparaître, puis l’espoir fou, le rêve de le revoir un jour, de le voir descendre vers sa maison, une visite qui bien sûr n’arriva jamais. Il nous dit qu’il lui manque encore tous les jours, les yeux un peu plus humides. Il nous raconte que ce lien est plus fort que tout, que son aigle pourrait tuer ses enfants si ces derniers entraient dans sa cage sans sa présence, mais qu'il ne peut pas faire autre chose.
Il nous explique ensuite leur façon de procéder pour récupérer un bébé, il faut escalader une falaise à la recherche d’un nid, attendre que les oeufs aient éclos, choisir une femelle - car elles sont plus grosses que les mâles. Ils les reconnaissent grâce au nombre d’anneaux présents sur sa patte. Puis il faut passer des mois et des mois à créer le lien, la confiance, à l’entraîner jusqu'à la première sortie, inoubliable. Les chasseurs à l'aigle laissent presque toujours la viande à leur aigle. Ils sont là pour éloigner les bêtes qui pourraient menacer les troupeaux, ils ne récupèrent que les peaux, sauf si c'est un cerf où ils peuvent aussi récupérer la viande. Ils craignent pour la vie de leur aigle quand elle s’attaque à des loups... C’est du 50/50, une chance sur deux de la voir mourir. Et puis il y a ces moments de sérénité, quand ils partent à cheval dans la montagne enneigée. Je buvais ses paroles et je m’y voyais, seule dans le froid, au galop, mon aigle sur le bras. Je donnerais cher pour partir en expédition avec lui.
Puis quand on a épuisé nos questions, nous sommes rentrés à l’auberge, où il est resté avec nous encore une petite heure, juste pour le plaisir d'échanger. Il nous a expliqué comment les yourtes étaient construites, nous a parlé de lui et de sa famille. Je le redis, il y a une profondeur et une gentillesse dans ses yeux ; ce moment restera comme l'un des plus forts du voyage. Je repense à la complicité entre cet homme et son aigle et je n'arrive pas à me départir du sourire au coin de mes lèvres.
Rien à voir, mais à l'auberge Meerim Guest House des Canadiens, la gérante vend ses créations en feutre : petites pochettes, chaussons, peluches, etc. La qualité est incroyable et je craque pour une pochette pour téléphone. avec l'idée que je retrouverais tout cela au bazar de Bishkek et que je continuerais peut-être mes emplettes là-bas. Mais non, nous n'avons retrouvé nulle part ailleurs une telle qualité de feutre et de couleur. Enfin, nous nous mettons en route pour la grosse fiesta sur la plage, organisée par le célèbre Erkin.
From Bokonbayevo with love
Comments